Daughter

Interview

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Ce trio folk indé londonien faisait partie de notre sélection d’artistes à suivre en 2013, et leur premier album, If You Leave, ne déçoit pas. En vue de sa sortie, nous nous sommes entretenus avec la chanteuse et fondatrice du groupe Elena Tonra…

Pouvez-vous nous parler de vos influences musicales? Quel est votre premier souvenir?

C’est dur de se limiter à une seule chose, mais mes parents écoutaient beaucoup de musique à la maison, donc j’ai de bons souvenirs des différents artistes et compositeurs qui jouaient. Mon père était un grand fan de Neil Young et Bob Dylan, et ma mère aimait beaucoup David Bowie. On regardait souvent cette émission qu’ils enregistraient intitulée "Sounds of the 70s", et c’était tellement divertissant pour nous en tant qu’enfants de voir toutes ces stars glam rock à la télé. Mon grand-père est irlandais et il chantait beaucoup de chansons folks irlandaises, donc j’ai grandi avec beaucoup d’influences différentes.

Quand avez-vous commencé à écrire vos propres morceaux?

Quand j’avais environ 11 ou 12 ans. Ce n’était pas vraiment des morceaux mais plutôt des paroles, car je ne pouvais pas jouer d’instrument (Rires). Je me souviens que j’avais un dictaphone Fisher Price, je l’utilisais pour concrétiser mes paroles, puis pour ajouter des sons. (Rires) Mais c’était tellement basique, je ne voulais rien montrer à personne.

J’avais ce tiroir plein de brouillons, et c’était un bon moyen de m’exprimer, car à l’époque, je ne m’intégrais pas très bien avec les autres. Vous savez, quand on change du primaire au collège et qu’on ne reconnaît plus personne? Et ce n’était pas facile de trouver des gens qui avaient les mêmes centres d’intérêt que moi, donc c’était un moyen d’exprimer ma solitude.

Mais c’est presque devenu un réflexe, et je me dois d’écrire mes expériences difficiles sur papier. C’est comme ça que mes paroles se sont formées, puis sont finalement devenues des morceaux, quand j’ai appris les accords basiques avec la guitare de mon frère. Mais c’était bien plus tard, à l’adolescence.

C’est toujours comme ça que vous travaillez, en écrivant les paroles d’abord, puis en adaptant la musique autour?

Ça change selon les chansons. Parfois, j’aurai de l’inspiration et j’écrirais des paroles sans avoir de guitare à côté de moi, mais généralement, les deux viennent ensemble.

Comment s’est crée le groupe?

On est tous allés à l’université ensemble, à l’ICMP de Kilburn. J’ai étudié là-bas pendant une année en cours d’écriture, et j’ai rencontré Igor. J’étais très intéressée par lui, car il avait une manière différente d’aborder la musique : J’étais plus le genre de personne à m’assoir guitare à la main, alors qu’il était plus un passionné de la production. Donc j’étais très curieuse de savoir ce qu’il créait de nouveau chaque semaine. Et Remi était à la batterie, bien évidemment.

Nous avons crée le groupe après l’université, au départ seulement Igor et moi. Je me souviens l’avoir convaincu de jouer de la guitare à quelques concerts. (Rires) Puis nous avons un peu plus joué ensemble et nous nous sommes rendus compte que ça marchait bien. Nous avions les mêmes idées sur ce que nous voulions faire des morceaux – ce n’était pas seulement des morceaux à la guitare, c’était beaucoup plus grand. Puis nous avons crée les EP "His Young Heart" et "The Wild Youth" , et c’est à ce moment là que Remi est officiellement entré dans le groupe.

Nous adorons l’album. Etes-vous contente du résultat?

Merci! Oui, j’en suis très fière. Nous l’avons fini en Décembre et il était masterisé avant Noël, puis il m’a fallu quelques mois pour que je puisse l’écouter à nouveau, car nous étions tellement absorbés par cet album pendant un an. Mais nous l’avons écouté récemment, afin de nous familiariser de nouveau avec les paroles.

Nous l’avons crée de manière très spontanée. Nous aurions pu le modifier pour qu’il soit parfait, mais au final, je trouve que c’est bien d’avoir quelques sons distordus dans le fond, car il faut se rappeler des moments où il a été enregistré.

Vous avez enregistré "Youth", "Tomorrow" et "Shallow" pour cet album. Pensiez-vous qu’il manquait quelque chose à l’album tel qu’il était ?

Je pense que nous avons enregistré ces morceaux à nouveau pour les aborder d’une manière différente, surtout pour "Youth". C’était un morceau que nous avions enregistré assez vite car nous n’avions pas beaucoup de temps à lui consacrer. Ça nous paraissait logique de l’enregistrer à nouveau, afin de l’adapter aux autres morceaux.

Nous l’avons également enregistré live sur l’album, comme pour "In The Shallows" et "Tomorrow". Je trouve que c’était bien de les enregistrer live afin de capturer ce sentiment d’être sur scène. J’espère que personne ne nous en voudra!

Igor a produit la majorité des morceaux, mais vous avez été aidé par Rodhaidh McDonald et Jolyon Thomas. Qu’ont-ils apporté au son?

Pour être honnête, c’était assez agréable pour Igor de se reposer sur quelqu’un d’autre au niveau de la production. Nous faisons des démos pour presque tous les morceaux – pour certains, nous allons garder quelques éléments, ou en réenregistrer certaines parties – et Igor était très impressionné par l’attention que portait Rodhaidh sur ces démos. En même temps, il était lui-même un producteur donc il s’est assuré que les morceaux ne sonnent pas comme s’ils étaient enregistrés dans une salle de bains ! De mon point de vue, Rodhaidh est très bon pour tout ce qui est électronique. Nous étions très intéressés de savoir comment il mélangeait les sons électroniques avec des instruments plus naturels, pour une harmonie parfaite.

Puis nous avons travaillé avec Jolyon vers la fin du processus, et c’était super de travailler avec lui car il a apporté une nouvelle perspective. Quand vous vivez avec ces morceaux pendant un an, vos perspectives peuvent devenir floues, donc nous avions besoin de quelqu’un pour nous dire “Arrêtez tout !” (Rires)

Y a t-il des références musicales sur cet album?

Rien de spécifique. En phase d’écriture, je n’ai pas écouté beaucoup de musique car il fallait que je m’échappe de toute sonorité, technologie ou internet pour me concentrer sur notre musique. Donc Igor et moi nous sommes rendus dans cette vieille chapelle qui avait été reconvertie, et nous sommes restés là-bas pendant deux semaines afin d’écrire.

Il y a eu différents points de référence tout au long de l’album, mais c’était généralement des albums cultes comme Radiohead ou Sigur Rós. Et depuis que je connais Igor, il me fait écouter des musiques électronique et indé plus obscures, donc nous avons par exemple beaucoup écouté cet artiste électro Sun Glitters.

Avez-vous des héros musicaux ou artistes que vous admirez?

Je suis obsédée par Jeff Buckley depuis mon adolescence lorsque j’ai écouté "Grace" pour la première fois. Je n’avais rien entendu de pareil auparavant, et sa voix est absolument incroyable. C’est sans aucun doute un album qui a changé ma manière d’écouter la musique.

Je suis également passionnée par les paroles, donc pour moi, Thom Yorke est fascinant, avec Radiohead ou en solo. Il a une perspective et une manière de dire les choses très intéressante.

En parlant de ça, la thématique de l’album est parfois très triste. Est-ce autobiographique?

Oui, c’est sans aucun doute un album personnel. Presque toutes les chansons sont personnelles, mais certaines sont plus observatrices que d’autres ; les références à la mort, par exemple. Ça peut sembler bizarre, mais j’aime penser à la mort. C’est une partie de l’expérience humaine si vaste et inconnue, il y a sujet à réflexion. Que nous arrive-t-il quand nous mourrons? Serons-nous seuls, ou réunis avec ceux que nous aimons? Toutes ces questions. "In The Shallows" est basé très fortement sur mon intérêt pour la mort.

Etes-vous à l’aise à partager des chansons si personnelles avec le public?

Euh, je ne pense pas y avoir réellement pensé! J’ai toujours écrit comme ça; parler de tout à tout le monde. J’imagine que c’est assez intimidant car certaines chansons sont morbides, mais en même temps, c’est de l’art : étaler ces sentiments. Vous savez, j’aurai pu atténuer ou modifier ou carrément enlever les éléments trop morbides, mais il était nécessaire que cet album soit honnête. Je n’ai enlevé aucun sentiment de cet album.

Avez-vous un morceau préféré sur l’album?

Je pense que c’est "Lifeforms". C’était une chanson assez minimaliste au départ, écrite sur une guitare acoustique, puis Igor a dit qu’il avait pleins d’idées pour ce morceau. J’étais un peu réticente au début car j’étais assez protective de ce morceau, mais nous nous sommes enfermés pendant 24 heures en studio, et vers 3 heures du mat’, Igor s’amusait avec l’arc – en créant tous ces sons bizarres – et nous avons construit le morceau autour. Nous avions toute cette énergie étrange due au manque de sommeil, mais c’était très excitant et tout d’un coup, le morceau avait un sens. Donc je suis très fière de ce morceau.

Les premiers albums peuvent tout dire d’un artiste. Que pensez-vous que ce premier album reflète?

Je ne sais pas! Peut-être que nous sommes des gens assez dépressifs? (Rires) Je trouve que c’est un album assez introverti, car nous nous sommes exilés pour l’écrire. Il a été écrit en janvier et fini en décembre, donc j’imagine que c’est un reflet de l’année écoulée. Mais même s’il est assez introverti, j’espère qu’il est quand même accueillant. Je veux que les morceaux signifient quelque chose pour chacun, car cela me fait penser que je ne suis pas la seule à penser tout ça.

Quels sont vos projet pour le reste de l’année?

Jouer à pleins de concerts, ce qui sera génial. Nous allons tourner en Europe, puis aux Etats-Unis, et on espère un peu plus loin. Nous allons au Japon pour un festival, ce qui va être incroyable. Donc oui, nous sommes très occupés!

Qu’aimeriez-vous accomplir en tant que groupe?

Je veux continuer à trouver de l’inspiration et être toujours passionnée par ce que j’écris : créer de la musique dont on est fiers, et qui évolue d’une certaine manière. Je pense que ça a été notre philosophie jusqu'à présent, et c’est ce que nous voulons continuer à faire vraiment. Je veux dire, si nous ne nous amusons plus, le groupe doit s’arrêter, car ce n’est pas sain de continuer dans ces circonstances. Désolée, c’est une fin de conversation assez morbide encore une fois ! (Rires)

Mars 2013