Rodrigo Y Gabriela

Interview

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Débutant leur carrière dans les rues de Dublin, pour finalement jouer devant Barack Obama à la Maison Blanche, Rodrigo Y Gabriela en ont fait du chemin en 14 ans. Nous les avons rencontrés en mars dernier pour parler de leurs moments forts et en savoir plus sur leur prochain album, "9 Dead Alive".

"9 Dead Alive" est votre premier album studio en six ans. En combien de temps l’avez-vous composé et enregistré?

Rodrigo Sanchez: Nous avons commencé à l’écrire en 2012; un an et demi avant de commencer à l’enregistrer. Pour la première fois, nous avions le temps de tester ces nouvelles chansons sur quelques tournées avant d’aller en studio, ce qui nous a vraiment aidés. On a pris du temps à savoir ce que l’on voulait vraiment de cet album. Bien sûr, il s’agit toujours de deux guitares, mais il existe un grand tournant en termes de sons.

Il sonne beaucoup plus rock que les albums précédents. Etait-ce le but?

Gabriela Quintero: Nous avions plusieurs buts. Premièrement, nous voulions l’enregistrer de façon à ce qu’il paraisse live, comme si nous l’avions enregistré ici dans cette pièce. Après toutes ces années à faire de la musique surproduite comme sur les B.O. de "Le Chat Botté" et "Pirates des Caraïbes" – ainsi que toutes les collaborations avec différents artistes – nous voulions retourner à nos racines: juste deux guitares, pas d’ampli et arrangé d’une manière qui n’est faite que pour nous.

Et cette fois-ci, nous nous sommes essayés à des mélodies et harmonies différentes, car je pense que c’est très important de toujours se surprendre dans le processus, ou au moins essayer. Si nous ne faisions que répéter ‘Tamacun’ ça ne marcherait jamais, et ça n’aurait pas été sincère. Donc nous avons décidé de prendre un risque, et suivre le courant, sans être aussi précis ou directif que l’on avait été sur "11:11" ou sur l’album Cubain. Cette fois-ci, on s’est dit “Soyons sauvages, soyons un peu plus Rock’n’Roll!”

Comme "11:11", "9 Dead Alive" est un album concept, mais cette fois-ci, les morceaux sont dédiés à 9 différentes personnes, comme des humanitaires ou des philosophes. Comment avez-vous choisi cette liste?

RS: L’idée m’est venue l’été dernier, et quand j’en ai parlé à Gab, nous nous sommes mis d’accord sur ce projet de présenter à nos fans des personnalités qu’ils ne connaissent peut-être pas. Ca ne valait pas la peine de se baser sur des personnes connues car nous ne sommes pas là pour partager des informations. Nous voulions créer pour la personnalité qui a touché l’humanité de manière positive, en particulier dans des coins du monde qui peuvent être moins reconnus. Dostoyevsky est probablement le plus connu, mais nous avons enlevé les plus évidents comme Martin Luther King.

Puis nous avons divisé les morceaux: je choisissais quatre hommes, et Gabriela choisissait quatre femmes. C’est Gabriela qui a eu l’idée de dédié la dernière chanson aux animaux et à la nature. A partir de là, l’autre point important était de faire comprendre aux gens que nous n’étions pas là pour imposer une idée particulière, par exemple en ajoutant un leader religieux ou une personne qui aurait crée une controverse. Je pense qu’avec notre liste finale, personne ne peut dénier leur bonne influence sur l’humanité.

Vous parlez de spiritualité sur "Sunday Neurosis" en y incluant des samples. Pouvez-vous nous dire d’où ils viennent?

RS: Je crois qu’il y en a un qui vient de Ram Dass, une sorte de leader hippie spirituel, puis un autre vient de Richard Dawkins.

Mais vous vouliez être consciemment apolitique?

RS: Je dirai que nous voulions plus nous concentrer sur des choses culturelles. Comme ça, une personne qui écoute le disque n’a pas à s’engager, mais le peut si elle est intéressée. Nous ne chantons pas, mais nous voulons parler de la musique, et contribuer à quelque chose qui peut être bon pour tout le monde.

GQ: Oui, je crois que c’est plus réflectif. Par exemple, une des personnes que j’ai choisies est Sor Juana Inés de la Cruz, un génie d’écrivain de l’ère colonialiste au Mexique. A cette époque, il n’existait pas de droit pour la femme, pour lire, écrire ou quoi que ce soit d’autre, et cependant, c’était la meilleure d’entre eux! Elle enfreignait les règles. Beaucoup de critiques disent qu’elle parlait beaucoup d’elle, mais si vous lisez ce livre à propos d’elle, intitulé "Octavio Paz", vous verrez qu’elle était la première écrivain mexicaine importante, et sa manière d’écrire transcende sa personnalité pour toucher l’âme humaine universelle.

Avec cet album, nous voulions refléter ces choses, car au bout du compte, il existe toujours cette âme humaine au dessus de toutes limites politiques ou spirituelles que nous avons en tête. Nous avons la fâcheuse tendance de tout catégoriser, et pour nous, je crois que c’est important de dire “Nous pouvons tous être pareil à un moment donné.” Il existe des éléments qui nous rendent tous humains. Et dans le cours de l’humanité, il existe des gens pas si connus qui ont fait de grandes choses. Cet album peut être politique si vous le souhaitez, car il prête au débat, mais c’est ça toute la magie de l’album.

Avez-vous un titre préféré?

RS: Musicalement, je crois que c’est le premier album de ma carrière où je me sens fier de tous mes morceaux, et je suis très à l’aise à tous les jouer. Il y a deux titres que j’aime jouer plus que les autres, le premier étant "The Soundmaker". Je l’aime car il mélange des riffs rock à la mélodie principale, ce qui était le but de l’album : remplacer les mélodies latines par des riffs de rock. Je suis si fier de ça. Et "Fram" possède un riff cool que j’adore jouer.

GQ: Pour moi, ce serait "Torito", car ce titre possède un rythme différent de toutes les autres musiques que l’on a crée jusqu’à présent. A chaque fois que je joue nos morceaux, j’ai des images en tête, presque cinématographique. Je ne prends pas de drogues, c’est juste mon imagination ! Ce titre évoque toujours différents éléments, et c’est pour ça que je l’ai choisi pour dépeindre la nature et les animaux. Il me transporte là-bas, et comme ce n’est pas un morceau complexe, il me détend.

En effet, ‘Torito’ n’est pas dédié à une personnalité historique, mais simplement à la nature et aux animaux. Pouvez-vous nous en dire plus?

GQ: Et bien, je dirai que les animaux et tous les cycles vitaux dans la nature sont reliés. Je suis végétalien, mais je ne vois pas le concept du végétalisme comme étant seulement à propos des animaux : ça appelle à tous nos sens. Il s’agit d’un cycle – d’une chaîne – et je pense que le fait d’être en harmonie avec le monde de la nature nous rend plus humain. Nous ne sommes pas des observateurs, nous en faisons partie, comme une branche fait partie d’un arbre. Les gens qui ne sont pas en phase avec ses éléments deviennent violents : ça a été étudié et prouvé. Pour moi, afin de devenir une humanité plus belle, nous devons être empathiques avec la nature et les animaux.

Vous avez accompli des choses incroyables dans votre carrière, comme jouer devant Barack Obama à la Maison Blanche, ou faire sale comble au Royal Albert Hall. Quel a été votre moment fort?

RS: Je reviens toujours au moment où nous étions en Irlande en 2000, et nous jouions dans les rues pour de l’argent. Cette période de notre vie, où nous sortions dans la rue pendant une heure, pour gagner un peu d’argent, rencontrer des irlandais et apprendre l’anglais car nous étions obligés de le faire: c’était le point décisif de notre carrière. Nous ne savions pas ce qui allait arriver, ou ce que l’on pouvait attendre. C’était sans aucun doute les meilleurs moments de ma vie.

Avez-vous gagné beaucoup d’argent en jouant dans la rue?

RS: Bien sûr!

GQ: Le problème est que l’été n’a duré qu’un mois ou deux, puis il a fait très froid, donc il était impossible de jouer dans la rue. Nous sommes allés dans un café un jour pour savoir si l’on pouvait jouer, et ils ont dit “Oui, bien sûr. Combien vous prenez ?” Notre logique, c’était que si l’on gagnait €100 dans la rue, on pouvait demander le double, mais le proprio nous a ris au nez et nous a envoyé balader (Rires) Mais dans la rue, c’était cool.

Vous avez une grosse tournée à préparer, puis quoi d’autre?

RS: De la paix. Vous savez, bien vivre; c’est ce qu’il y a de plus important. C’est super d’être en tournée et j’adore, mais c’est ma carrière et parfois ça me stresse ! Mais je suis reconnaissant d’avoir une telle carrière, donc du moment qu’on continue à faire ça, je suis bien content.

Mars 2014