Wild Beasts

Interview

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Alors qu’on croyait Wild Beasts à l’apogée de leur carrière, ils reviennent avec un quatrième album encore plus incroyable, qui les classe parmi les meilleurs groupes anglais de la décennie. Le chanteur Hayden Thorpe nous explique ici comment Present Tense s’est construit sur les ruines de Smother… comme un héro surgi des flammes.

Un grand bravo pour votre nouvel album Present Tense, il est superbe. Maintenant qu’il est dans les bacs, comment le percevez-vous?

Je pense que nous l’avons amené là où il devait atterrir. Je réaliserai ce que nous avons achevé lorsque nous aurons un peu plus de recul. Pour moi, il existe sur cet album deux polarités que nous devons respecter. D’un côté, nous devons tout faire pour rester original, même si cela veut dire réorganiser de vieilles idées. De l’autre, nous nous devons de mettre tout notre cœur à ce projet. Je ne veux pas des nerfs d’acier ; j’aime ressentir la sueur et les tripes des gens.

En général, arrivez-vous à écouter vos propres albums?

La plupart du temps, oui, mais pour être honnête, j’essaie de ne pas prendre trop de recul. L’autre jour, j’écoutais nos vieilles B-sides, et ça m’a rappelé nos idéaux de l’époque, nos coupes de cheveux chelou, les habits douteux… Ca m’a dégouté. On est des gars bizarres quand on y pense.

Comment pensez-vous avoir évolué artistiquement depuis Smother?

J’aime à penser qu’on a tout distillé pour donner un résultat plus direct, plus clair, plus concentré. On a essayé d’insuffler une pointe d’optimisme à cet album; pas le genre d’optimisme blagueur et sympa, mais plus de reconnaissance et de détermination. Cet album s’est construit sur les ruines de Smother, l’air vainqueur, comme un héro surgi des flammes. Mon Dieu que c’est dramatique.

Que vouliez-vous achever avec Present Tense? Aviez-vous un plan?

Nous étions attirés par les instruments électroniques. Nous créons de la musique assez sensuelle avec nos corps, et les synthés sont des instruments puissants pour évoquer cela. L’accent a été mis sur l’aventure: je pense que les bonnes choses arrivent lorsque l’on se place entre l’expertise et l’inconnu.

En quoi votre procédé créatif est-il différent des autres albums?

Nous avons mis beaucoup plus de temps à enregistrer cet album. Nous nous sommes accordé ce petit plaisir. Je crois beaucoup au fait que si une idée est bonne, elle restera bonne, quoique vous lui fassiez endurer ou combien de temps elle prend à se concrétiser. Je pense qu’on a testé cette théorie : l’album a pris près de deux ans à se concrétiser. Avant, nous avions l’habitude de lancer un album en quelques mois. Mais nous ne pouvons pas toujours compter sur nos instants de jeunesse ; il est important de se rendre compte de ses œuvres, voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas aussi bien.

Aviez-vous certaines références musicales particulières?

Je trouve que cet album représente bien notre époque. Il réagit à toutes ces informations et richesses pures que nous recevons chaque jour. C’est une réalisation lucide parmi le chaos du présent. Nous avons puisé dans des influences très variées et juxtaposées. Nous avons écouté pas mal de musique ambiante - Brian Eno, Harold Budd et Philip Glass – mais je suis également fascinée par les chansons de Rihanna, de Miley Cyrus, par la musique house de Detroit…

Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler avec Lexx et Leo Abraham?

Lexx faisait partie de la royauté, il a hérité du trône. En ayant déjà travaillé sur "Two Dancers" et "Smother", il a un grand rôle à jouer dans notre identité musicale. Leo a dirigé l’aspect émotionnel de l’album. Il cerne très bien les moments sentimentaux.

En termes de composition, où avez-vous tiré votre inspiration cette fois-ci?

Je crois que nous sommes restés fidèles à notre fascination pour ce qu’on appelle les cinq concepts: l’amour, le sexe, la vie, la mort et la trahison. Y a-t-il un art qui n’évoque aucun de ces concepts ? Les paroles sont notre réponse à la pression du moment ; gérer le passé et les souvenirs, tout en se tournant vers le futur à une vitesse folle.

Et cela se réfère donc au titre de l’album?

Le présent est coincé entre notre histoire et nos espoirs pour le futur. Il existe dans un espace tellement restreint, constamment poussé par l’avant et l’après. Il s’agit d’un moment lucide avant la tempête.

"Wanderlust" a été décrit comme votre morceau le plus engagé à ce jour. Trouvez-vous cela juste?

Probablement, oui. Ce morceau rend compte de ce en quoi nous croyons. Quand on entreprend une œuvre créative, il faut décider de notre identité, savoir ce que l’on n’est pas avant de savoir ce que l’on est. Ceci est notre manifeste.

On y trouve de l’agressivité, surtout dans le dernier refrain – quel a été l’élément déclencheur?

Perso, j’ai un dégoût pour les grosses entreprises qui enlèvent toute émotion à l’art. J’ai l’impression que c’est une arnaque : faites jouer les violons si c’est ce que vous ressentez, mais arrêtez de le faire avec un ton qui n’est pas le votre.

Quel est le titre dont vous êtes le plus fier sur l’album?

Je pense qu’on a travaillé très longtemps pour arriver à sortir une chanson comme "Palace". Ca flirte avec le désastre, comme si ça pouvait tomber dans l’abysse pour toujours. C’est une chanson très personnelle qui a demandé du courage. Mais je crois que je suis encore plus fier de l’exécution musicale : c’est fait avec si peu et pourtant ça en donne tellement.

Qu’avez-vous appris en créant cet album?

Je crois fort au fait que notre plus grand atout et notre collaboration collective. On est assez vieux-jeu dans ce domaine ; un vrai groupe. C’est en acceptant le chaos de l’inconnu que tous les accidents heureux arrivent.

Quels sont vos projets futurs?

Tournée, tournée, tournée, tournée, tournée.

Et où aimeriez-vous être dans 12 mois? Quels sont vos objectifs?

Tournée, tournée, tournée, tournée, tournée. Non, sérieusement, 12 mois paraissent très loin pour nous. Le fait de ne pas savoir est excitant. J’espère que cet album est assez fort pour nous emmener vers cet inconnu. D’une certaine manière, l’un des plus grands accomplissements d’un album est de pouvoir nous permettre d’en faire un autre. Essayer de prédire le futur pour l’instant, c’est comme pointer un doigt vers le ciel et essayer de savoir d’où vient le vent. Et je ne sais pas où le vent se dirige.

Février 2014